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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/260

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fluence, aux dépens de l’ancienne noblesse que nous avons plus d’une fois eu l’occasion de signaler. Les marchands ont déjà l’importance que donne partout la richesse. Le rôle de cette classe, longtemps dédaignée, pourra grandir encore avec les progrès du self-government et surtout avec sa propre éducation. Aujourd’hui cependant, l’infériorité de culture de beaucoup des hommes voués au commerce leur enlève encore aux yeux de leurs compatriotes une bonne part de la considération ou de l’autorité que vaut ailleurs la richesse.

La plupart des municipalités de la Russie proprement dite ont été abandonnées à ce que certains écrivains russes appellent un peu ambitieusement une aristocratie d’argent, une plutocratie, souvent ignorante, immorale et intrigante[1]. De cette façon les affaires étaient d’ordinaire réglées moins dans l’intérêt de la ville que dans l’intérêt d’une partie de ses habitants. Les considérations mercantiles primaient toutes les autres, et en Russie comme aux États-Unis, on a vu plus d’une fois de grandes villes aux mains d’un groupe de spéculateurs et d’agioteurs, qui exploitaient sans vergogne toutes les affaires municipales. Il fallait, pour traiter avec les villes, acheter le concours de ses administrateurs élus. À la fin du règne d’Alexandre II, la capitale même était gouvernée par un parti compact et solidaire, désigné du nom significatif de compagnie noire (tchernaia sotnia). Sous la direction de cette bande, composée surtout de petits commerçants, de restaurateurs ou d’aubergistes, le conseil municipal de Pétersbourg était devenu une sorte d’hôtel des ventes où l’on trafiquait cyniquement des intérêts de la ville. En province le mal n’était guère moindre[2]. La plupart des petites villes étaient

  1. Le terme de ploutocratie est affectionné de certains Russes, parce que, dans leur langue, il prête à un jeu de mois, peu bienveillant pour les Crésus moscovites. Le mot plout signifie, en effet, fourbe, fripon.
  2. Les exemples abondent ; M. L. Pezold, notre traducteur allemand, Das Reich der Zaren und die Russen, t. II, p. 204, en a cité un curieux à Kief.