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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/259

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domine la noblesse, le dvorianstvo, aujourd’hui encore la classe la plus éclairée de la nation. Dans l’ensemble des élections municipales, la part proportionnelle du dvorianstvo n’est guère que de 15 ou 20 pour 100[1]. Je pourrais citer des conseils où les classes inférieures, d’ordinaire à peine lettrées, mêchtchanes, paysans, artisans, l’emportaient sur les nobles et les classes instruites. Partout au contraire le nombre des marchands est considérable ; dans la plupart même des conseils, ces kouptsy ont à eux seuls la majorité, en sorte qu’ils n’ont qu’à demeurer d’accord pour être maîtres de résoudre à leur avantage les affaires de la ville et toutes les questions d’impôt. Ce n’était pas là le but du statut de 1870, qui prétendait enlever les municipalités à la domination exclusive des commerçants, des kouptsy, à l’esprit retors et routinier, si bien peints dans les comédies d’Ostrovski, pour en aplanir l’accès à des hommes plus cultivés. Un système électoral, destiné à assurer la prépondérance des hautes classes, a souvent abouti à l’exclusion ou à la subordination des classes les plus instruites et les plus propres à la direction des affaires[2]. En Russie, en effet, l’éducation est encore moins que partout ailleurs en raison de la fortune, ou les lumières en proportion de la cote des impôts.

Cette prépondérance d’une classe souvent encore peu civilisée, parfois même hostile à la culture européenne, indique l’influence que commencent à prendre en Russie le commerce et l’industrie. On pourrait voir là un indice de ce déplacement de fortune, de ce déplacement d’in-

  1. Voici quelle était la composition du conseil municipal élu en 1881 à Saint-Pétersbourg. On y comptait 13 nobles de familles titrées, 65 fonctionnaires civils en service ou en retraite (les uns et les autres sont éligibles), 11 officiers, 5 licenciés es sciences, 7 architectes, 4 ingénieurs ; 4 journalistes, 3 médecins, 2 avocats, 94 marchands, 41 bourgeois notables, 4 petits bourgeois (mêchtchanes) et 3 artisans. La plupart des conseils municipaux sont loin d’avoir une composition aussi variée.
  2. Voyez, par exemple, M. Nolovitch : Osnovy reform mestnago i tseniralnago oupravleniia (1882), chap. xv.