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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/28

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sujet. Le scribe est d’ordinaire étranger à la commune, étranger même à la classe des paysans par l’éducation et les habitudes, si ce n’est par la naissance. C’est tantôt un séminariste qui n’a pas achevé son cours, tantôt un soldat retiré du service, d’autres fois un employé chassé d’une chancellerie de l’État et réfugié dans les campagnes, où il fait descendre avec lui les abus de la bureaucratie russe.

Indifférents aux intérêts des paysans et mal rétribués, ces greffiers n’ont d’autre souci que de ramasser quelques roubles. Souvent déclassés, ils sont parfois enclins aux idées révolutionnaires ; si jamais la propagande anarchique parvient à pénétrer dans le peuple des campagnes, ce sera par leur entremise ou celle des instituteurs[1].

Dans les villages, où tout le monde porte le vieux costume moscovite, l’armiak ou la chemise rouge, le pisar se distingue par ses vêtements à l’allemande, à l’occidentale. Ce chétif greffier semble ainsi se désigner lui-même comme un représentant de la culture européenne, exilé au milieu des moujiks. Ce n’est point de là que lui vient son influence, elle lui vient naturellement d’une double supériorité, la supériorité de l’homme lettré et de l’homme au fait de la loi. On sait quelle autorité possède fréquemment en nos petites communes, près de maires ignorants ou négligents, le secrétaire de la mairie : qu’on juge par là de l’ascendant d’un pareil secrétaire sur des paysans illettrés.

L’instruction est encore fort loin d’être répandue dans les campagnes de Russie. En beaucoup de villages, il est peu d’hommes, surtout parmi les gens âgés, parmi les anciens, qui possèdent la science de la lecture ou l’art de

  1. Pour relever cette obscure profession et assurer le recrutement régulier de ces indispensables auxiliaires de la vie communale ; les États provinciaux (zemstvo) de Tchernigof avaient, en 1878, décidé la fondation d’une école spécialement destinée à donner aux futurs greffiers communaux des notions administratives et juridiques. Quelques publicistes (le Novoé Vrémia, par exemple ; en avril 1880) ont proposé d’employer à cette préparation les séminaires ou écoles normales d’instituteurs.