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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/290

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un même cas, pouvaient fournir deux ou trois solutions, encourageaient singulièrement la vénalité et la tyrannie. Cette législation, obscure et inextricable, présentait l’aspect d’une forêt touffue où les juges avaient peine à se retrouver, et où le justiciable demeurait à la merci des hommes de loi qui le rançonnaient. À cet égard, la législation russe n’était pas sans ressemblance avec la législation anglaise, elle aussi faite de pièces et de morceaux, d’actes du parlement et d’ordonnances royales, d’anciennes lois, tombées en désuétude, sans être formellement abrogées, et de nouvelles lois d’un esprit opposé, le tout compliqué de décisions complémentaires, de modifications, d’exceptions de toute sorte ; mais, grâce aux mœurs et à l’esprit public, cette ressemblance entre les deux législations avait dans les deux pays des effets fort différents. La discordance ou l’indécision des lois qui, en Angleterre, a souvent tourné au profit de la liberté et de la sécurité des citoyens, tournait d’ordinaire, en Russie, au profit de l’arbitraire et de la corruption[1].

Ce ne sont pas les lois qui ont jamais fait défaut à la Russie. En dépit du témoignage de quelques anciens voyageurs, la Moscovie a de bonne heure possédé des lois écrites[2]. La Russie des Varègues avait, dès le dixième siècle, dans la Rousskaïa pravda (le droit russe) de Iaroslaf, un code à demi barbare, qui rappelle les législations scandinaves de la même époque. Le tsarat de Moscou avait le soudebnik ou justicier d’Ivan III et d’Ivan IV qui, une fois l’unité moscovite achevée, substituèrent un code unique aux lois ou coutumes particulières des différents apanages. Après les grands troubles de la fin du seizième siècle, le second des Romanof, le tsar Alexis, père de Pierre le Grand, avait publié, sous le nom d’Oulogénié zakonof) un recueil

  1. L’Angleterre elle-même a senti le besoin de simplifier sa législation, elle est en ce moment en train de procéder à la codification en même temps qu’à la réforme de ses lois criminelles.
  2. L’anglais Fletcher, par exemple, dit à tort que la Russie en était dénuée.