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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/291

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de lois qui depuis est demeuré la base de la législation russe. L’influence européenne vint vers ce temps entraver le développement du droit national. Sur les anciennes lois moscovites se greffèrent, sous Pierre le Grand et ses successeurs, des lois copiées ou imitées des codes et des coutumes de l’Occident. Dans sa législation comme dans toutes ses institutions, la Russie a été ainsi disputée entre deux tendances, entre deux esprits différents, et le droit russe a perdu toute unité, toute homogénéité. Au lieu de substituer à l’Oulogénié des premiers Romanof un code nouveau et systématique, les successeurs d’Alexis Mikhaïlovitch se contentèrent d’accroître ou d’amender les lois existantes au moyen d’oukazes successirs, occasionnels et accidentels, souvent inconsidérés et contradictoires. À force d’accumuler ordonnances sur ordonnances et règlements sur règlements, les souverains du dix-huitième siècle avaient fait de la législation un véritable chaos. Pierre le Grand eût voulu doter la Russie d’un code régulier, en prenant comme base les lois suédoises : ses guerres, ses voyages, ses réformes multiples ne lui en laissèrent pas le temps. Quand il mourut, il n’avait fait qu’entasser les édits et les règlements, empruntant aux codes de l’Europe des lois disparates, étrangères aux mœurs de ses sujets, rapportant et abrogeant souvent lui-même ses propres oukazes, procédant toujours d’une manière isolée et fragmentaire, par modifications partielles, selon les besoins ou les inspirations du jour, se démentant parfois à peu d’intervalle, comme si, dans sa fièvre d’innovations, il eût oublié ses propres lois.

Les successeurs de Pierre suivirent la même méthode désordonnée, tantôt pour continuer, tantôt pour défaire l’œuvre du réformateur. Aucun État, nous l’avons dit, n’a fait un plus grand abus de la législation[1]. La raison en est simple. La loi écrite, selon la remarque d’un penseur

  1. Voyez tome I, livre IV, p. 276.