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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/307

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CHAPITRE II


Justice corporative — Tribunaux des paysans ou de volost. — Leur raison d’être. — Droit coutumier et droit écrit. — Composition et compétence de ces tribunaux rustiques. — De l’emploi des verges dans les campagnes. — Une audience de cette justice villageoise. — Ses défauts et ses avantages. — Autres tribunaux corporatifs. — Cours ecclésiastiques.


Un des principes fondamentaux de la réforme judiciaire est l’égalité de tous les sujets du tsar devant la justice. Les nouveaux tribunaux sont communs à tous les habitants de l’empire, sans distinction d’origine ou de profession[1]. À cette règle, il y a une exception qui intéresse la portion la plus considérable du peuple. Au-dessous de la double série de tribunaux institués par les statuts judiciaires, persiste une justice antérieure qui conserve le caractère corporatif. Ce sont les tribunaux de bailliage ou de volost (volostnye soudy)[2], érigés par l’acte d’émancipation, et particuliers aux paysans, qui en sont les seuls juges comme les seuls justiciables.

D’où vient cette anomalie qui paraît soustraire au droit commun plus des trois quarts de la nation ? Pourquoi laisser à la classe la plus nombreuse et la moins instruite

  1. Autrefois il n’en était pas ainsi. Dans les causes criminelles, par exemple, à côté du président et d’un conseiller nommés par le gouvernement, siégeaient des délégués de la classe à laquelle appartenait le prévenu. En certaines provinces, en Sibérie notamment, les municipalités ont continué, jusqu’en 1885, à élire des délégués pour prendre part au jugement des marchands ou des bourgeois.
  2. Le mot volost, traduit par canton ou bailliage, désigne soit une grande commune rurale, soit plus souvent une agglomération de plusieurs petites communautés de villages, réunies administrativement. Voyez liv. I, ch. i.