Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/314

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rité du chef de famille. La loi leur confère le droit de punir les maris qui maltraitent leurs femmes, ou les parents qui abusent de leurs enfants. Le père a-t-il une mauvaise conduite, les juges autorisent le fils à le quitter. Un frère aîné, chef de maison, s’est-il fait le tyran de ses sœurs, elles trouvent protection près des juges. Un chef de famille administre-t-il mal ses affaires, les juges lui enlèvent la direction du ménage et, dans l’intérêt de ses enfants, transmettent ses pouvoirs à sa femme. La brutalité maritale, vieux reste des mœurs du servage, étant un des principaux vices du moujik, les juges de volost rendraient à la famille du paysan un service inappréciable, s’ils y relevaient la dignité de la mère et de l’épouse[1]. Les procès domestiques » devant cette justice primitive, donnent parfois lieu à de singulières sentences. Dans un village de notre connaissance on avait à juger un mari qui avait battu sa femme, et une femme qui ne voulait plus vivre avec son mari. Ne voulant donner gain de cause ni à l’un ni à l’autre, les juges les condamnèrent tous deux à quelques jours d’emprisonnement, et, comme il n’y avait pour toute prison qu’une seule salle, les deux coupables furent enfermés ensemble.

D’ordinaire, les juges sont naturellement peu sévères pour les abus de l’autorité masculine, et, quand il est condamné par le tribunal, le mari prend parfois à la maison sa revanche sur la femme. Les procès ne font ainsi souvent qu’envenimer les rapports des époux, et, pour échapper à la tyrannie conjugale, la femme finit trop fréquemment par recourir à la fuite ou au meurtre[2]. Afin de ne pas réduire les paysannes à de telles extrémités, il a été question d’accorder aux juges de volost la faculté

  1. Voyez tome I, livre VIII, chap. ii.
  2. D’après les statistiques criminelles, le nombre des femmes du peuple qui se débarrassent de leur mari par le fer ou le poison est relativement considérable, et ces crimes, qui ont pour motif la brutalité de l’homme, trouvent pour la plupart grâce devant le jury.