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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/315

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de prononcer la séparation des deux époux, en cas de mauvais traitements de la part de l’un d’eux. C’est là un droit qui semble exorbitant pour de pareils tribunaux, mais ce droit pourrait leur être conféré d’une manière détournée, en leur attribuant simplement la faculté de faire délivrer à la femme maltraitée par son mari un passeport qui lui permit de quitter le domicile et la commune de son époux. Les mœurs des campagnes sont trop favorables à l’autorité maritale pour que les tribunaux de village abusent de leurs pouvoirs contre le mari, et rompent les chaînes de la femme, à moins que le poids n’en soit manifestement intolérable[1].

Les peines que peuvent infliger les tribunaux de volost sont de diverses sortes. Le législateur s’est gardé de les abandonner à l’arbitraire des juges, il a pris soin de les déterminer et d’en marquer les limites. La loi en fixe le maximum à trois roubles d’amende, à sept jours d’arrêts ou à six journées de corvée au profit de la commune, et enfin à vingt coups de verge. Cette dernière peine place les tribunaux de volost en dehors du droit commun, en dehors de la législation qui a supprimé les châtiments corporels. D’où vient cette étrange et, pour nous, choquante anomalie ? Elle vient de la nature spéciale de cette justice rustique. Avec les verges, c’est la coutume et la tradition qui, chez le paysan, triomphent dans la justice criminelle et le droit pénal, aussi bien que dans le droit civil. L’ancien serf,

  1. De fait, ces tribunaux infimes, ou rassemblée du village elle-même, s’arrogent parfois le droit de prononcer la séparation ou mieux le divorce des époux mal assortis. En voici un exemple, emprunté à un district du gouvernement de Toula, en 1880. Un paysan du nom de Kouzmitchef avait déposé une plainte contre sa femme, qui l’avait quitté et refusait de rentrer chez lui. Le mir enjoignit au père de la jeune femme de la renvoyer à son mari. Le père répondit que c’était impossible, vu que le mari, non content de la maltraiter, la laissait mourir de faim et avait contracté une liaison avec une autre paysanne. Le mir, ou le tribunal de volost, après avoir entendu les témoins, prononça la séparation des époux, fit rendre à la jeune femme tous ses effets personnels, et déclara qu’elle pouvait, se considérer comme libre. Le prêtre du pays ne put rien changer à cette décision.