Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/338

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ils, la direction eût bien valu la tutelle de la police. Il serait oiseux de peser ici la valeur de cette opinion. Les hommes qui la professent sont, pour la plupart, suspects de penchants aristocratiques ou d’admiration surannée pour les mœurs patriarcales. À ce double titre, les adversaires de la séparation des pouvoirs ont contre eux le courant des idées modernes aussi bien que les instincts de l’esprit russe contemporain. Leurs objections auraient beau être fondées, elles sauraient difficilement prévaloir, contre les doctrines en vogue, d’autant qu’une fois qu’il tient un principe, le Russe ne le lâche pas aisément[1].

Entre les juges de paix de l’Angleterre et ceux de la Russie, il y a une seconde et grave différence qui achève de distinguer les deux institutions. En Angleterre, les justices of the peace sont nommés par le souverain, qui doit les prendre parmi les propriétaires fonciers possédant un certain revenu. En Russie, les juges de paix (mirovyé soudi) doivent bien être pris parmi les propriétaires locaux ; mais, au lieu d’être nommés par la couronne, ils sortent de l’élection, tout comme les juges de bailliage des paysans. On ne pouvait obéir plus consciencieusement au nouveau dogme de la séparation des pouvoirs, ni prendre plus de précautions pour assurer l’indépendance de la justice rurale vis-à-vis de l’administration. Comme ils doivent juger les différends d’hommes de conditions diverses, les juges de paix sont élus par l’assemblée où siègent les représentants des diverses classes sociales, par le conseil général ou zemstvo de district. L’État se

  1. Les attaques contre la séparation absolue de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire avaient repris avec plus de vigueur sous Alexandre III. Ainsi que nous l’avions prévu dans notre deuxième édition, le gouvernement impérial a fini par s’écarter de cette règle pour les communes rurales. Aux juges de paix il est en train de substituer peu à peu, sous le nom de chefs de canton ruraux, des fonctionnaires investis à la fois de fonctions administratives et judiciaires. Comme cette substitution n’est pas encore partout effectuée et que les juges de paix doivent être maintenus au moins dans quelques grandes villes, nous avons cru devoir conserver ici la description de cette curieuse institution.