Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/339

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contente d’exiger des candidats un double cens, un cens d’instruction, un cens de fortune, l’un devant assurer la capacité, l’autre l’indépendance du magistrat[1].

Qui aurait cru que, de tous les grands États européens, l’empire autocratique serait le premier à mettre une partie ie la magistrature au régime de l’élection ? C’est encore là un exemple de ces hardiesses, d’autres diraient de ces témérités, que s’est plus d’une fois permises le gouvernement du tsar. Pour la Russie, du reste, cette application du système électif à la justice est loin d’être une innovation. Catherine II avait déjà, dans les tribunaux de l’empire, fait une place aux délégués des divers groupes de la population ; mais avec la procédure secrète, l’élu ne pouvant être contrôlé par les électeurs, ce mode de désignation n’était le plus souvent qu’une vaine formalité. Il en est tout autrement des institutions nouvelles : en remettant aux assemblées locales le soin de désigner les juges de paix, l’empereur Alexandre II a réellement implanté en Russie le système électif, il l’a adapté aux mœurs modernes.

Quels sont les motifs qui ont déterminé le gouvernement à conférer aux représentants des localités une telle prérogative ? Le slatut judiciaire nous indique lui-même les deux principaux. Le législateur a considéré que, pour leur ofrice de conciliation, les magistrats de paix avaient pardessus tout besoin de l’estime et de la confiance publiques, et, en même temps, que ces magistrats étaient trop nombreux et l’empire trop vaste pour que le pouvoir central pût prendre sur lui de désigner ces milliers de juges locaux, sans risquer d’en abandonner le choix à l’intrigue et à la faveur[2]. Tous les gouvernements ne sont point aussi timorés, et nul ne contestera que de tels scrupules fassent honneur au pouvoir qui les confesse.

  1. Dans les villes de Saint-Pétersbourg, Moscou, Odessa, les juges de paix sont choisis par la douma ou conseil municipal. (Voyez livre III, ch. iv.)
  2. J’emprunte ces motifs aux considérants qui précèdent le dispositif de la loi.