Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poids des impôts, on sait que dans beaucoup de villages le nombre des contribuables en retard est considérable, et que parfois le village entier est hors d’état d’acquitter les taxes dues au Trésor.

La commune est une institution essentiellement populaire et traditionnelle, il serait dangereux d’en ébranler les fondements, fût-ce pour la consolider ou en rectifier l’ordonnance. La présence de tous les chefs de famille au conseil communal est la conséquence naturelle du principe de la communauté ; ceux qui veulent exclure des assemblées un grand nombre de paysans tendent par là, sciemment ou non, à la dissolution du mir, à la suppression de la propriété collective. Les familles qui ne seraient plus représentées dans les réunions où se fait la répartition des terres et des impôts risqueraient fort d’être lésées dans ces partages ; elles perdraient pratiquement leur droit au domaine commun, et verraient la propriété collective tomber indirectement en désuétude. Quelque opinion que l’on ait sur le maintien des communautés de village, cette manière détournée de les dissoudre serait de tous les procédés d’abrogation le plus arbitraire et le plus inique.

L’ignorance, l’ivrognerie et la paresse ne sont point, du reste, les seules plaies du mir, ou, pour mieux dire, ces vices trop fréquents se manifestent souvent d’une manière inattendue par la domination d’une minorité de paysans aisés sur la majorité de leurs coassociés. Contribuables en retard, débiteurs insolvables et hôtes assidus du kabak (cabaret), tombés dans la dépendance de leurs voisins plus habiles ou plus sages, deviennent pour leurs créanciers comme une clientèle docile. De là parfois, dans une constitution éminemment démocratique, le règne d’une sorte d’aristocratie villageoise ; de là la fâcheuse domination de ces exploiteurs du paysan, de ces koulaky, de ces mangeurs du mir (miroiédy), si souvent signalée dans la grande enquête agricole[1]. De tels faits montrent une fois de plus

  1. Voyez notre t. I, liv. VIII, chap. iv.