Aller au contenu

Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

combien il est difficile de toujours prévoir les conséquences pratiques d’une législation ou d’une constitution. Les mœurs et les circonstances ont souvent beaucoup plus d’influence que tous les articles de loi ou les règlements d’administration. Le mir russe est exposé à deux inconvénients inverses : il peut servir d’instrument à une envieuse et paresseuse démagogie de village ; il peut aussi bien être mis au service d’une petite et rapace oligarchie de clocher. Le mir est, comme bien d’autres institutions, placé entre deux écueils opposés ; nous verrons plus loin quels sont les moyens suggérés pour l’en préserver.

Les communautés de village sont aujourd’hui même loin d’être entièrement désarmées contre les mauvais sujets ou les perturbateurs. L’assemblée communale possède à l’égard de ses membres un droit d’exclusion. La coutume lui donne la faculté d’interdire à qui bon lui semble de prendre part à ses délibérations, et la loi lui reconnaît ce singulier privilège, pourvu qu’elle n’en use pas pour plus de trois ans de suite envers la même personne[1]. Un tel droit d’ostracisme a beau nous paraître excessif, il est peut-être indispensable à des diètes villageoises, dont aucun mandat n’ouvre les portes. Le pouvoir de la commune sur ses membres va plus loin encore. L’assemblée n’est pas seulement libre d’exclure de son sein tel ou tel individu, elle est libre de le bannir de la communauté et du territoire même de la commune, ce qui, pour le malheureux expulsé, aboutit d’ordinaire à la déportation en Sibérie[2]. Ce droit d’exil, qui aux mains d’une si chétive autorité nous paraît exorbitant, n’est encore qu’une conséquence logique du principe générateur du mir, de la propriété indivise et de la solidarité de l’impôt. La commune, responsable des taxes de tous ses membres, est maîtresse de les retenir dans son sein, mal-

  1. Articles 47 et 51 du statut d’émancipation.
  2. On m’a bien affirmé que, théoriquement, ce droit était commun à toutes les classes de la société russe, que toutes avaient la faculté d’expulser