Aller au contenu

Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’être élus par les représentants du district, les juges sont nommés par le gouvernement ; au lieu d’appartenir à la population locale, ce sont, pour la plupart, des étrangers, appelés de l’intérieur de l’empire et ignorant les usages et la langue des hommes qui comparaissent à leur tribunal. Jusqu’en ces provinces déshéritées, on a voulu maintenir, dans une certaine mesure, la séparation du pouvoir administratif et du pouvoir judiciaire, en rendant les nouveaux juges indépendants des gouverneurs locaux pour ne relever que du ministre de la justice.

Dans les provinces mêmes, qu’il avait mises officiellement en possession d’une magistrature élective, le gouvernement d’Alexandre II avait, du reste, fini par restreindre singulièrement l’exercice du droit d’élection. Les lois de 1864 donnaient au sénat le droit de confirmer les choix faits par les zemstvos. Un oukaze de septembre 1879 a enjoint aux gouverneurs de province de fournir au sénat des renseignements secrets sur la moralité et sur les opinions des élus des assemblées territoriales. Ces rapports ou attestations, comme dit la loi russe, sont confidentiels, par suite ils ne peuvent être contrôlés. Le sénat ne saurait aller contre l’opinion des gouverneurs qui, en fait, sont ainsi devenus maîtres de casser à leur gré les choix du zemstvo. Plusieurs États provinciaux ont eu beau en demander la suppression, Alexandre III a jusqu’ici maintenu aux gouverneurs ce droit d’attestation. De cette façon, si réiection des juges de paix n’a pas été supprimée, leur nomination dépend aujourd’hui du bon plaisir de l’administration.

Ce qui fait l’innocuité de la magistrature élective en Russie, ce ne sont point seulement les précautions prises par le gouvernement : c’est moins le mode d’élection ou le cens d’éligibilité que la situation morale du pays, que le calme ou l’apathie de l’esprit public, en un mot que le manque de vie politique. Sous le régime autocratique, il n’y a guère à craindre que la majorité des électeurs se