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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/351

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en contact avec des hommes de toute sorte et que, s’il se trouvait dans un état voisin du besoin, il aurait plus de peine à résister à certaines influences, ou même à certaines tentations[1]. Si tel est le but de la loi, on ne saurait dire qu’il ait été atteint. Un homme qui possède quelques centaines de désiatines, ou même un millier d’hectares de landes en friche, dans les solitudes du nord, un homme qui, à Pétersbourg, où la vie n’est pas moins chère qu’à Paris, possède une maison ou, mieux, une masure d’une valeur de 6000 roubles, c’est-à-dire un capital de 15 000, de 20 000 francs au plus, peut-il être regardé comme réellement indépendant, comme élevé par la fortune au-dessus des séditions vulgaires et des tentatives de corruption ? S’ils n’avaient d’autres garanties de la moralité du juge, les électeurs seraient à plaindre.

Le cens exigé par la loi est ainsi loin de toujours répondre aux vœux et aux calculs du législateur. L’inefficacité en est parfois manifeste. Nous ne dirons pas, pour cela, que ce ne soit qu’une formalité inutile, qu’une gênante et fâcheuse entrave à la liberté du choix des zemstvos. Certains Russes n’hésitent pas à l’affirmer, plusieurs de leurs publicistes demandent la suppression de toute condition censitaire[2]. Sans doute, lorsque la loi soumet les électeurs à un cens électoral, on peut trouver excessif de réclamer en outre des élus un cens d’éligibilité. D’un autre côté, on comprend qu’un gouvernement n’ait pas, dans le principe de la magistrature élective, une assez entière confiance pour la laisser dépouiller d’aucune de ses garanties, si vaines et illusoires qu’elles puissent paraître[3].

Pour rendre au cens d’éligibilité toute sa valeur, il faudrait le relever, et, en rehaussant, au profit de la fortune, le seuil de la magistrature élective, on risquerait de ne

  1. Éclaircissements sur l’article 19.
  2. M. Golovatchef, par exemple, Deciat léi reform., p. 333-334.
  3. La loi dispense de tout cens les juges élus à l’unanimité ; il est vrai que dans la pratique cette unanimité est singulièrement difficile à rencontrer.