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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/356

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juge, apprend à compter sur son droit et à faire fond sur la justice.

Je dirai peu de chose de la compétence du juge de paix. À son prétoire sont dévolues toutes les causes civiles dont l’importance n’est pas supérieure à 500 roubles, et toutes les affaires criminelles dont le châtiment légal n’excède point une année d’emprisonnement ou 300 roubles d’amende. On est libre de s’adresser au juge de paix pour des affaires qui ne sont pas de sa compétence ; mais, dans ce cas, les parties doivent s’engager à se soumettre à sa décision. C’est ce qu’on appelle le tribunal de conscience[1]. Comme son nom l’indique, le juge de paix doit avant tout chercher à concilier les deux parties, il ne peut rendre une sentence qu’après avoir essayé d’amener un compromis. Dans ses décisions, le juge doit plutôt tenir compte de l’équité que du droit strict, et en certains cas il doit se conformer à la coutume aussi bien qu’à la loi[2].

Le premier avantage de cette justice, c’est qu’elle est dégagée des lentes et dispendieuses formalités. Tout homme qui a une plainte à porter au juge de paix s’adresse directement à lui, de vive voix ou par écrit, et le juge fixe sans retard le jour de l’audience. Rien de plus simple que ces audiences, surtout dans les campagnes. La procédure, qui est orale et publique, est parfois empreinte d’une bonho-

  1. Les affaires spécialement soumises aux tribunaux de volost sont souvent ainsi portées devant les juges de paix, du consentement des deux parties. Dans quelques provinces de l’intérieur, ces magistrats, qui sont aujourd’hui trop peu nombreux pour toujours suffire à ce surcroît de besogne, ont peine à se débarrasser de ces sortes d’affaires. On cite ce mot d’un moujik, ainsi renvoyé devant ses tribunaux corporatifs : « Oh ! ce tribunal de volost ! on n’en obtient rien, hormis un bon de vingt coups de verges ! » Allusion aux châtiments corporels, encore tolérés dans la justice villageoise.
  2. Voici un cas que la presse russe a cité, comme faisant honneur à la justice de paix (1879), et qui démontre mieux l’impartialité du magistrat que son tact juridique. Un juge avait reçu une plainte en diffamation, portée par sa servante contre sa propre femme. Il envoya une citation à l’une et à l’autre sous son propre toit, et, après un débat public, il condamna sa femme à une amende de cent roubles. Il est vrai que le fait se passait en Podolie, l’une des provinces où ces magistrats ne sont pas encore élus.