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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/357

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mie un peu patriarcale. On y retrouve à peine plus de formalités et de décorum que dans les tribunaux de volosL Le juge n’a ni robe ni uniforme, il siège, suivant ses goûts, en redingote ou en jaquette, seulement il porte au cou comme insigne une médaille suspendue à une chaîne dorée. Dans les audiences de paix auxquelles j’ai assisté, tout se passait néanmoins avec une grande régularité. L’interrogatoire des témoins était conduit avec soin et patience, leurs réponses, comme celles des parties, étaient au fur et à mesure résumées par écrit, puis relues aux intéressés pour être certifiées par eux. Cette manière de procéder, qui semble parfois donner un peu de lenteur aux débats, leur imprime une grande netteté et facilite singulièrement la revision des causes dont on interjette appel. Pour lire sa sentence, toujours écrite et motivée, le juge faisait lever les assistants, et, la lecture faite, les parties, qui acceptaient la décision, s’inclinaient en signe d’assentiment.

Ce qui m’a le plus frappé, dans ces modestes tribunaux comme dans toutes les assises russes, c’est la manière d’y prêter serment. Dans un des coins de la chambre qui servait de prétoire, se dressait un pupitre sur lequel étaient placés un Évangile et une Croix. D’ordinaire, le prêtre est appelé à donner à la justice l’autorité de son ministère en faisant lui-même prêter serment aux témoins. J’ai vu ainsi, dans les campagnes, le pope leur lire une longue formule liturgique que les témoins répétaient phrase par phrase, avec maint signe de croix, selon la coutume nationale. La cérémonie se terminait par le baisement de la Croix et de l’Évangile. Je fus surpris de retrouver ainsi vivante, au cœur de l’ancienne Moscovie, la vieille coutume slave, si souvent attestée par les annalistes russes, chez lesquels baiser la croix est l’équivalent habituel de jurer. Pour une grande partie du peuple, encore imbu des grossières notions du moyen âge, encore moins respectueux de la vérité que des rites extérieurs, la sainteté du serment a toujours