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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/371

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tuteur ; des fonctions, en principe accessoires, sont en fait prédominantes[1].

Le parquet est le chemin des plus hautes dignités judiciaires ; dans ses rangs se recrute fréquemment le haut personnel de la magistrature assise, les présidents des tribunaux et des cours de justice. Les relations directes et constantes des procureurs avec le ministère leur donnent, à cet égard, un facile avantage. À Saint-Pétersbourg comme à Paris, les ministres oublient trop souvent que pour un juge, voué par profession à l’impartialité, c’est une mauvaise éducation que d’être accoutumé, par métier, à regarder les prévenus du point de vue de l’accusation. De deux fonctions qui, loin d’être une préparation l’une à l’autre, exigent des habitudes d’esprit et des qualités toutes différentes, pour ne pas dire opposées, on fait ainsi une seule et même carrière, au risque de laisser parfois retrouver le procureur sous le juge.

En Russie, ces nominations de procureurs s’expliquent en partie par la difficulté de trouver des magistrats instruits et expérimentés. Ici, comme partout dans les nouvelles institutions, on sent le manque d’hommes spéciaux ; il faut que les réformes créent elles-mêmes peu à peu le personnel qui les doit appliquer. Dans un pays presque entièrement dépourvu de jurisconsultes, il était difficile de trouver des juges. On ne saurait donc beaucoup s’étonner si l’on rencontre encore des magistrats, des présidents même qui n’ont pas fait leur droit. Il y a une dizaine d’années, on comptait dans les tribunaux d’arrondissement et les cours d’appel plus de 20 pour 100 des juges, dénués de toute instruction juridique. Aujourd’hui, bien que le minis-

  1. Pour mettre fin à cette excessive influence du parquet sur la magistrature, un publiciste a proposé de détacher le parquet du ministère de la justice et de le rattacher avec la police au ministère de l’intérieur. (Golovatchèf, Deciat lêt reform.) Quand rien ne s’opposerait à une mesure aussi radicale, les mœurs bureaucratiques actuelles lui laisseraient, craignons-nous, peu d’efficacité pratique.