Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/372

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tère de la justice n’admette plus dans la magistrature que des hommes ayant fait leur droit, près de 10 pour 100 des magistrats sont encore dépourvus de tout diplôme spécial. Ce manque d’hommes a été la cause ou le prétexte des retards longtemps apportés à l’extension des nouveaux tribunaux et de la magistrature inamovible. Au rebours de ce qui se voit en Occident, les carrières dites libérales, pour la plupart toutes récentes en Russie, ont encore peine à se recruter.

C’est là du reste un vide tout passager, qui serait déjà comblé sans les défiances du pouvoir vis-à-vis des étudiants des universités et des nouvelles générations. Pour être admis à siéger dans un tribunal, il ne suffit pas de posséder un diplôme et un titre universitaire, il faut avant tout posséder la confiance du gouvernement, et pour cela ne prêter à aucun soupçon de radicalisme ou de mauvais esprit. Plus la loi assure de garanties et d’indépendance au juge, plus le ministre apporte de soins à ne laisser entrer dans la magistrature inamovible que des hommes sûrs et soumis, dont le caractère et les opinions ne fassent redouter ni un excès d’indépendance ni un excès de libéralisme. Quoique la magistrature soit presque le seul ressort où les droits de l’instruction soient respectés, beaucoup de jeunes gens, que leurs études et leur intelligence rendraient aptes à cette carrière, en sont exclus par leurs tendances politiques, réelles ou supposées. La Russie moderne se trouve ainsi emprisonnée dans une sorte de cercle vicieux : des hommes actifs et remuants, qui se voient fermer toute carrière à cause de leurs opinions, sont, faute de débouchés, violemment rejetés dans les opinions qu’on leur reproche. De là un double mal, simultané et en apparence inconciliable, d’un côté le gouvernement et les services publics souffrant du manque d’hommes, de l’autre un grand nombre de jeunes gens sans place.

Si la magistrature ne s’ouvre pas aisément à tous les aspirants, il n’en est pas de même du barreau. Aussi est-ce