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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/377

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Des défautS, pour lesquels quelques écrivains étrangers se sont peut-être montrés trop sévères[1], ne doivent pas cacher à nos yeux les qualités et les services du barreau russe, dans les capitales surtout. Qu’il soit intéressé et cupide, que dans ses plaidoiries il manque de méthode et de goût, qu’il soit prolixe et enclin à l’emphase, le jeune barreau de Pétersbourg et de Moscou n’est point dénué de toutes les qualités professionnelles, il a plus d’une fois montré qu’il en possédait au moins une et non la moindre. L’avocat russe n’a point failli à son devoir de défenseur. Durant les quinze dernières années, marquées par tant de conspirations et tant de procès politiques, aucun prévenu n’est demeuré sans défense. Tout Russe traduit devant un tribunal a vu se lever à ses côtés un homme qui osait, en son nom, débattre avec les représentants de l’autorité les charges de l’accusation.

Dans ce vaste empire, dépourvu d’assemblées politiques, les avocats ont eu l’honneur d’être les premiers à faire retentir une parole libre ; dans un pays où le courage militaire est si commun, ils ont été les premiers appelés à donner l’exemple encore inconnu du courage civil. Quelques-uns, il faut bien le dire, ne l’ont point fait impunément. Plusieurs, tels que le défenseur de Nétchaïef, se sont vu interdire la parole, ou, ce qui revenait au même, ont été internés par la police dans une petite ville de province. Devant ce péril, le barreau n’a point déserté sa mission. Les prévenus politiques n’en ont pas moins continué à trouver des avocats, jaloux d’user des droits de la défense, et prêts à protester contre toutes les mutilations des formes de la justice[2].

Soit défiance de leur moralité, soit antipathie pour les

  1. Je citerai, par exemple, en Angleterre, M. Mackensie Wallace : Russia, t. II, p. 399, 400 ; en Autriche, le docteur Célestin : Russland seit Aufhebung der Leibeigenschaft, p. 182-183.
  2. On a ainsi, en février 1882, dans le grand procès de Soukhanof, de Trigoni et des complices du régicide de 1881, beaucoup remarqué la hardiesse de certains défenseurs, tels que MM. Alexandrof et Spassovitch.