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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/388

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s’est ainsi trouvé violé ou éludé dans la pratique. La loi considérait tout procès criminel comme une sorte de duel, où les armes devaient être égales entre les deux parties, où l’autorité chargée de l’instruction devait, tout comme le juge, conserver une absolue neutralité. Aujourd’hui l’équilibre tant cherché entre l’accusation et la défense se trouve rompu aux dépens de la dernière. Il y a, dans l’instruction judiciaire, un des deux plateaux de la balance qui pèse plus que l’autre, et ce plateau est celui de l’accusation. Par bonheur la balance, pour les causes privées du moins, est d’ordinaire redressée dans l’enceinte du tribunal, et l’équilibre ainsi rétabli. Si l’instruction et le juge qui préside aux débats penchent trop souvent du côté de la sévérité et de la vindicte publique, l’autorité qui prononce souverainement dans les causes criminelles, le jury, incline du côté du prévenu et dans le sens de l’indulgence.

Les lois de 1864 ont introduit en Russie le jury. C’était la plus haute marque de confiance que le gouvernement impérial pût accorder à la nation, ainsi conviée spontanément à prendre une part directe à la répression des crimes. Il fallait une certaine hardiesse pour recourir à une telle institution, au sortir du règne de Nicolas, dans un État où une moitié du peuple venait à peine d’être affranchie de la servitude. Aux yeux de beaucoup de fonctionnaires ou d’hommes de cour, c’était là un acte d’imprudence, presque de démence, que le temps devait bien vite condamner. L’expérience a montré, en effet, que dans l’empire autocratique, plus encore qu’ailleurs, le jury avait, lui aussi, ses défauts. En dépit de toutes les attaques, en dépit des récentes restrictions dont il a été l’objet, le jury est loin cependant d’avoir justifié toutes les prédictions des prophètes de malheur.

Une dizaine d’années avant que s’ouvrit le règne de l’émancipateur des serfs, un ancien fonctionnaire russe, qui, dans l’exil, écrivait des plans de réforme dont la réali-