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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/389

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sation semblait indéfiniment éloignée, Nicolas Tourguénef, remarquait que le jury, né aux époques barbares chez des tribus demi-sauvages, était une des rares institutions qui parussent susceptibles de s’adapter à tous les âges de la civilisation, et pussent convenir à des peuples enfants aussi bien qu’à des nations d’une haute culture. L’exemple de la Russie n’a point démenti la remarque de Tourguénef[1].

En Russie comme chez nous, le jury ne fonctionne d’ordinaire qu’au criminel et non au civil. Sur ce point encore les commissions de Pétersbourg nous ont imités de préférence à l’Angleterre, ou n’ont imité l’Angleterre qu’à travers l’imitation française. On ne saurait s’en étonner. En Angleterre même, le jury au civil semble devoir bientôt tomber en désuétude ; il n’est guère à sa place que dans les contrées et les tribunaux où règne le droit coutumier, comme par exemple, en Russie, les tribunaux de paysans. La complexité habituelle des affaires civiles, la difficulté de séparer la question de fait de la question de droit, l’impossibilité enfin de recruter des jurés capables dans des contrées aussi arriérées que beaucoup des provinces de l’empire, ont naturellement décidé le réformateur à restreindre le jury aux causes criminelles.

Au criminel même, l’introduction du jury se heurtait à d’autant plus d’obstacles qu’on manquait de précédents ; s’il s’en rencontrait quelques-uns, les principes de la réforme ne permettaient guère de s’y conformer. En remontant très haut dans l’histoire, on découvre bien, dans la libre Novgorod, et même dans la Moscovie des premiers tsars, des institutions plus ou moins analogues à notre jury, des jurés ou jureurs sur la croix auxquels était confié

  1. La Russie et les Russes, t. II ; p. 232. On doit noter que la Russie a accepté le jury avant l’Autriche. L’Espagne, à cet égard, est encore inférieure à la Russie. Établi, croyons-nous, par la révolution de 1868, le jury n’a pu fonctionner au sud des Pyrénées, grâce surtout à la pusillanimité des jurés.