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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/398

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de longues et inutiles discussions, décident de s’en rapporter au sort ; une autre fois, c’est un jury qui, dans sa passion d’indulgence, rend un verdict de non-coupable avec circonstances atténuantes. Ailleurs des marchands et des paysans, siégeant en cour d’assises durant la semaine sainte, acquittent tous les prévenus, parce qu’au temps de la Passion, des chrétiens ne sauraient condamner leurs frères. Ailleurs encore, un jury, pour échapper à la nécessité de mentir à sa conscience ou de faire déporter un pauvre diable, se sauve silencieusement par la fenêtre. En de telles histoires, il faut naturellement faire la part de la légende. Il n’est que trop certain cependant que le jury a donné lieu aux scènes les plus regrettables et aux décisions les plus choquantes. Il est arrivé maintes fois que des prévenus dont la culpabilité ne laissait aucun doute, des accusés qui n’essayaient même pas de nier leur crime, obtenaient un verdict favorable. En 1879, par exemple, le jury de Tikhvine acquittait les meurtriers d’une vieille paysanne, sous prétexte que c’était une sorcière qui portait malheur au village. En 1880, à Pétersbourg même, on acquittait un facteur qui avait, depuis des années, l’habitude de jeter la moitié de ses lettres à la rivière, et un employé de la poste qui s’emparait des valeurs confiées à son bureau. Aussi le jury, qui avait d’abord été accueilli avec un si confiant enthousiasme, est-il, dans le public et dans la presse, devenu l’objet d’un dénigrement peut-être non moins excessif. Les nouvelles cours d’assises ont été accusées de porter le trouble dans la conscience publique. On s’est demandé si le peuple russe n’avait pas été mis prématurément en possession de droits dont il ne savait pas user. Quelques-uns, tels qu’un jour la Gazette de Moscou, ont proposé d’obliger le jury à motiver ses verdicts,

    nonçait ces mots : c Que votre volonté soit faite », le marchand, levant les bras au ciel ; s’écria : « Non coupable ! » et tous les jurés répétèrent en chœur : « Non coupable », verdict qui fut immédiatement inscrit en marge des questions posées par le tribunal.