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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/402

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voir jusqu’au domaine législatif. Partout il a pour effet de redresser ou de tempérer la législation dans ce qu’elle peut avoir d’excessif, d’en adoucir les sévérités outrées, d’en corriger ou d’en éluder les parties qui ne répondent plus aux mœurs. Le jury ainsi considéré cesse d’être un simple ressort ou un rouage inerte de la machine répressive. Grâce à lui, l’action de la société, intervenant dans la justice, remonte jusqu’au code et affecte la législation même. En un mot, le jury a pour effet, si ce n’est pour mission, de plier la rigidité des lois aux mœurs. C’est par là surtout qu’il est un agent de liberté et de progrès ; dans une législation inanimée il fait pour ainsi dire pénétrer la conscience vivante. En des pays tels que la Russie, où la législation garde encore plus d’une disposition archaïque ou vicieuse, l’indulgente initiative du jury peut souvent avoir moins d’inconvénients que d’avantages, elle est un utile correctif aux rigueurs de lois surannées. Il y a tels chapitres du code pénal russe, code dont la réforme est à l’étude, qui ne sauraient être appliques que par un juge esclave de la lettre de la loi, et auxquels l’intervention du jury enlèvera tôt ou tard toute efficacité pratique.

Je citerai entre autres certains articles touchant les « crimes contre la religion », articles inspirés bien moins par un intérêt moral qu’un intérêt politique. En 1877, par exemple, la cour d’assises d’Odessa avait à juger des paysans stundistes, inoffensifs sectaires qui, à l’instar de colons protestants ou mennonites du voisinage, rejettent le clergé, les sacrements et toutes les pratiques de l’Église officielle. Ces stundistes étaient traduits en justice pour un crime prévu par le code pénal, celui d’avoir abandonné la foi orthodoxe. Le crime était bien défini et les accusés le confessaient ; le jury n’en a pas moins refusé de les reconnaître coupables. Si ce verdict d’acquittement était contraire à la loi, il ne l’était certes pas au droit naturel.

En 1880, le jury de Saint-Pétersbourg rendait un verdict