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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/404

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risquerait d’attendre indéfiniment, car, si les institutions ne suffisent pas à créer l’esprit public, l’esprit public ne saurait entièrement mûrir sans les institutions.

Et cela ne saurait jamais être plus vrai que lorsqu’il s’agit du jury, c’est-à-dire d’un mode de justice qui, à toutes ses garanties pour l’individu et la société, joint des défauts inhérents à ses avantages. Les inconvénients, les abus mêmes, qui, en d’autres pays des deux mondes, ont parfois accompagné le jugement par jury, eussent dû avertir les Russes de n’en pas trop attendre d’avance et de ne s’en pas trop plaindre après. N’a-t-on pas vu des contrées, en Sicile et en Irlande par exemple, où l’on ne pouvait trouver des jurés assez courageux pour condamner les attentats les plus avérés ? N’a-t-on pas vu en Amérique des jurys composés de complices des criminels qui passaient devant eux ? La Russie n’a connu aucune de ces hontes, elle n’a pas eu non plus le spectacle plus triste encore d’un jury sans conviction, se faisant par lâcheté l’instrument d’un pouvoir tyrannique, comme autrefois chez nous les jurés du tribunal révolutionnaire. Quel que soit le prestige de l’autorité, elle a presque toujours rencontré dans les cours d’assises des hommes résolus à rendre un verdict conforme à leur conscience[1].



  1. Il y a peu de chose à dire de la procédure des cours d’assises. À cet égard, la Russie a plutôt imité la France que l’Angleterre, bien que, sous quelques rapports, elle ait cherché à combiner les usages des deux pays. Comme en France, les avocats plaident au criminel aussi bien qu’au civil ; mais, comme en Angleterre, les témoins sont interrogés contradictoirement (cross-questionning) par les avocats et le ministère public, aussi bien que par le président ; ce dernier termine les débats par un résumé où, comme autrefois chez nous, il ne se maintient pas toujours dans une stricte impartialité. Lorsque le jury a rendu son verdict, la défense et l’accusation sont admises à présenter leurs conclusions sur l’application de la peine. Le verdict, nous l’avons dit, est rendu à la majorité, et le partage des voix profite à l’accusé, même pour l’obtention des circonstances atténuantes.