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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/414

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été entouré d’une demi-publicité, la presse ayant pu reproduire, au moins en partie, les réponses des accusés, tandis qu’à quelques mois de distance il lui était interdit de rien communiquer au public des débats de procès moins graves, comme celui des éditeurs de la feuille clandestine le Tcherny Pérédel. Ce que les conseillers d’Alexandre III ont trouvé le plus commode, c’est d’ériger, à cet égard, l’arbitraire en loi. Le gouvernement s’est attribué le pouvoir de soumettre au huis clos tous les procès « dont les débats publics pouvaient exciter l’opinion », et ce pouvoir il l’a reconnu, non à la magistrature, mais à l’administration, qui ne se fait pas faute d’en user. Une loi du 4 septembre 1881 autorisait en pareil cas chaque accusé à réclamer, pour trois de ses parents ou amis, le droit d’assister aux débats. Cette faculté a été jugée excessive : par un ordre daté du 14 novembre 1881, Alexandre III a décidé que dorénavant on n’admettrait à l’audience que la femme des accusés ou leurs parents en ligne directe, ascendants ou descendants, sans admettre plus d’une personne pour chacun des prévenus. C’est avec cette règle nouvelle qu’ont été jugés, en 1882 et 1884, les complices des meurtriers d’Alexandre II.

Tout n’est point profit pour le pouvoir dans ce silence de l’audience et cet éloignement du public. Si la publicité des débats a des inconvénients qui frappent les yeux, les ténèbres du huis clos en ont d’au moins égaux. Pour l’opinion, qui n’en peut apprécier les motifs, les condamnations ainsi prononcées dans l’ombre gardent quelque chose d’obscur et d’équivoque ; il devient aisé aux gens malintentionnés d’ériger en victimes innocentes ou en martyrs de la liberté les fous les plus insensés ou les criminels les plus dangereux. En s’enveloppant de mystère, la justice paraît emprunter la procédure et les formes arbitraires de la troisième section ; elle semble n’être plus que l’accessoire et la complice de la haute police. À y bien regarder, ces procès politiques sont peut-être ceux