Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/415

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où la publicité est le plus indispensable. Dévoiler à la société la profondeur de ses plaies eût été le meilleur moyen d’exciter la répulsion publique contre les entreprises coupables et les chimériques revendicalions. En voulant soustraire aux regards de la nation les détails de ces tristes affaires, le gouvernement la laissait s’endormir dans l’apathie ou la méfiance. Pour protéger le pays contre l’infection des mauvaises doctrines, il ne servait de rien de fermer l’entrée des tribunaux : la voix des criminels trouvait encore moyen de passer à travers les portes closes, et toutes les précautions pour empêcher leurs paroles de résonner au dehors ne faisaient que leur assurer plus de retentissement auprès d’une jeunesse facile à émouvoir. Le huis clos donnait au pouvoir l’air de trembler devant le langage d’adversaires désarmés.

L’affaire de Véra Zasoulitch, en 1878, a été la dernière cause politique qui ait été jugée publiquement avec l’assistance du jury. La haute position de la victime de l’attentat, le sexe, la jeunesse, la froide exaltation de l’accusée, l’éloquence hardie de son avocat, les dépositions des témoins, qui semblaient mettre en jugement la préfecture de police, la décision inattendue du jury, tout jusqu’à la disparition soudaine de Tacquittée au sortir de l’audience, contribuait à jeter sur ce procès mémorable une teinte romanesque. On n’a pas oublié le fond de l’afTaire. Aux bords du Volga, à trois ou quatre cents lieues de la capitale, une jeune Russe avait appris par un journal que, sur l’ordre du préfet de police de Pétersbourg, alors le général Trepof, un prisonnier politique, à elle inconnu, avait été fouetté de verges. Nouvelle Charlotte Corday, la jeune fille s’était constituée la vengeresse de l’humanité. Elle avait traversé la moitié de la Russie pour châtier l’irascible préfet, et, dans une audience, lui avait tiré à bout portant un coup de revolver qui l’avait grièvement blessé. Le crime était incontesté, la préméditation reconnue, les aveux de l’accusée formels ; malgré les efforts de l’accusation, le jury rendit