Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/423

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dre III, en les rééditant et les renforçant, a eu soin de répéter la même assurance. Par malheur, ces mesures provisoires ont déjà persisté des années. En tout cas, quelle qu’en soit la durée, les récentes restrictions ne sauraient faire oublier tout ce qui subsiste de la réforme judiciaire, tout ce qui en est déjà entré dans les mœurs. Les déceptions du public et du législateur ne doivent pas faire perdre de vue le terrain conquis. Alors même qu’elles semblent disparaître sous les restrictions provoquées par les attentats révolutionnaires, les lois de 1864 n’ont pas été détruites. Les oukazes impériaux ont eu beau, sous le coup de la colère, déformer, dans telle ou telle de ses parties, la grande œuvre d’Alexandre II, l’œuvre temporairement mutilée subsiste dans ses fondements ; bien qu’à demi enfouie sous les mesures d’exception, elle a traversé la crise où elle semblait devoir disparaître, et, en dépit de toutes les altérations momentanées, elle se retrouvera intacte en des temps plus calmes.

« Une des choses qui nous étonnent, qui nous affligent le plus, nous autres Russes, c’est de voir combien, après tant de grandes et multiples réformes, nous avons peu changé ; combien, dans le peuple comme dans le gouvernement, dans les sujets comme dans le pouvoir, les vieilles idées, les vieilles habitudes ont persisté. On dirait que tous ces changements, qui eussent métamorphosé un autre pays, ont passé sur nos têtes, sans toucher les âmes, sans atteindre la conscience du peuple qui en était l’objet, ou du pouvoir qui en était l’auteur. » — Que de fois ai-je entendu cette confession dans la bouche de Russes désabusés ! Les événements ne sont pas faits pour corriger ces impressions pessimistes. Il y a, pour un patriote, quelque chose de navrant à voir la lenteur des progrès accomplis et les principes des lois nouvelles toujours remis en question.

La réforme judiciaire n’a cependant pas été aussi stérile qu’on se plaît parfois à le dire ; déjà l’influence commence