Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/424

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malgré tout à s’en faire sentir, dans la vie privée comme dans la vie publique. Le rôle de la justice n’est pas tout matériel, il ne consiste pas uniquement à maintenir l’ordre extérieur ; la mission de la justice est avant tout d’inculquer au peuple et à la société, aussi bien qu’aux agents du pouvoir, le sentiment du juste et du droit. À cet égard, la justice est bien loin d’avoir encore accompli son œuvre, mais, chez aucun peuple, elle n’avait plus à faire. Quel est le reproche le plus souvent et le plus justement fait aux Russes, au fonctionnaire, au marchand, à l’artisan, au paysan, à l’homme civilisé comme à l’homme du peuple, aux hommes publics comme aux hommes privés ? C’est de ne point avoir une notion nette et vivante du droit, de ne pas sentir assez la force de l’obligation morale, ou du moins de l’obligation juridique. Or ce défaut, qui, chez les Russes, ternit à la fois la vie privée et la vie publique, une justice libre, honnête et impartiale peut seule le corriger en corrigeant les mœurs séculaires du servage domestique et de l’arbitraire bureaucratique[1].



  1. Nous devons constater qu’une loi de juillet 1889 a encore restreint les attributions du jury. Pour nous servir d’un terme technique, les délits n’entraînant que la perte partielle des droits civils ont été correctionnalisés. En outre, on a définitivement enlevé à la compétence du jury toutes les afTaires pour lesquelles on désire une répression particulièrement énergique et rapide ; les attentats contre les fonctionnaires et les actes de rébellion contre l’autorité sont déférés aux cours de justice. De même le jury a été exclu des affaires concernant les crimes commis par des fonctionnaires ou par les employés des voies ferrées dans l’exercice de leurs fonctions. Ces affaires sont jugées par le tribunal de première instance ou par la cour selon le rang des accusés et la gravité du châtiment encouru. Dans ces procès, comme dans les causes politiques, aux jurés l’on a substitué des représentants des diverses classes sociales, siégeant à côté des magistrats. (Voyez la note de la page 412.) On a enfin soustrait à la compétence du jury les affaires de banque que les jurés russes comprennent mal et qui avaient donné lieu à des acquittements scandaleux.