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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/426

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occidentale avant la Révolution, la législation russe de la fin du dix-huitième siècle était peut-être l’une des moins rigoureuses et des moins sanguinaires. Le bûcher, la roue, la mutilation étaient encore en usage dans nombre des États les plus anciennement civilisés qu’ils étaient supprimés chez la dernière venue des nations européennes. Et cependant l’opinion vulgaire n’avait pas entièrement tort ; malgré tous les adoucissements du dernier siècle, la législation russe, sous Alexandre Ier, sous Nicolas même, méritait en partie son triste renom.

Dans aucun code moderne les châtiments corporels n’ont aussi longtemps tenu une aussi grande place. Jusqu’au règne de l’empereur Alexandre II, c’était là le caractère distinctif de la pénalité russe. Les châtiments n’étaient pas toujours cruels ; comme ailleurs, ils étaient de diverses sortes et plus ou moins bien gradués selon la gravité des cas ; mais d’ordinaire, pour les simples délits comme pour les plus grands crimes, c’était sur le corps, sur les membres, sur la peau du délinquant que tombait le châtiment. Il n’y avait plus de knout, il y avait encore les baguettes, il y avait les verges. La culpabilité des transgressions légales s’évaluait en coups de verges. La Russie semblait vivre sous la férule d’un maître qui la corrigeait paternellement avec le fouet et le bâton ; c’élait chez elle une des formes du régime patriarcal. Selon l’éloquent tableau tracé par un avocat de Pétersbourg dans un procès fameux, la verge régnait en maîtresse[1], « La verge conduisait l’école de même que l’écurie du propriétaire ; elle était en usage dans les casernes, dans les bureaux de la police, dans les administrations communales. Il courait même alors le bruit qu’en certain lieu la verge était mise en mouvement par un mécanisme d’invention anglaise que l’on employait pour des circonstances spéciales. Dans les livres de droit criminel et civil, les verges figuraient à chaque page,

  1. Plaidoirie de M. Alexandrof dans le procès de Véra Zasoulilch ea 1878.