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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/436

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jadis inconnu de ce peuple de serfs, s’éveille dans la Russie émancipée. L’armée et le service militaire ne sont pas étrangers à cette transformation ; dans les régiments, jadis menés à la baguette, le soldat qui se voit aujourd’hui condamné aux verges se regarde comme déshonoré. De l’armée et des tribunaux civils ces notions nouvelles s’infiltrent peu à peu jusqu’au fond du peuple, qui, avant une ou deux générations, en sera tout entier pénétré. Au milieu des tristesses et des déceptions que donne la Russie des réformes, c’est là un des aspects sur lesquels on peut reposer les yeux avec la joie de constater un progrès durable.

Les châtiments corporels ont été abolis et, depuis lors, la législation russe est probablement la plus douce de l’Europe. Quand, en 1863, un oukaze impérial a effacé les verges du code pénal, il y avait déjà plus d’un siècle que la plus grave des peines corporelles, la seule qui ait été conservée dans la plupart des États modernes, la peine capitale, avait été légalement supprimée en Russie. Il est assez singulier que ce soit le pays de l’Europe dont la législation passait pour la plus cruelle, qui ait pris l’initiative de l’abolition de la peine de mort ; qui le premier, longtemps avant la Toscane de Léopold, longtemps même avant la publication du traité Des délits et des peines, ait prétendu appliquer les maximes de Beccaria[1].

Peut-être pourrait-on de ce côté découvrir en Russie,

  1. Le célèbre ouvrage de Beccaria est de 1764, postérieur de plus de dix ans à l’édit d’Elisabeth Pétroma, qui supprima la peine capitale. On doit remarquer qu’en aucun pays les idées de Beccaria n’ont ou une plus grande et plus rapide influence sur la législation. Moins de trois ans après leur apparition, avant même d’être entièrement traduits en russe, I delitti e le pene servaient de base à toute une partie de l’édit (nakas) de 1767 sur la procédure criminelle. Plus de cent articles de cet édit de Catherine à sont une traduction presque littérale de Beccaria. Depuis lors, la législation russe est demeurée pénétrée des principes du criminaliste milanais. Un sénateur, M. S. Zaroudny, a fait ressortir tous ces emprunts des lois impériales à Beccaria (Beccaria : O prestouplénahk i nahazaniakh v sravnenii s gl. X nakaza Ekat, II (Pét. 1879).