Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/437

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sinon une tradition ininterrompue, du moins quelques antécédents, remontant assez haut dans le passé. Déjà Ivan III, le rassembleur de la terre russe, réservait au souverain le droit de prononcer la peine de mort. Les tsars ses successeurs, Ivan IV le Terrible en particulier, ne se faisaient pas faute, il est vrai, d’en user et abuser ; mais déjà la mort semble surtout le châtiment des crimes politiques. Un moment, au dix-septième siècle, sous l’influence de l’Europe occidentale, le code draconien d’Alexis Mikhaïlovitch, l’oulogénié sakonof, prodigue à toute sorte de crimes et de délits le dernier supplice. Pierre le Grand, qui, envers ses ennemis publics ou privés, fut si peu avare de la peine capitale, en limite l’application dans la loi ; sa fille, la sensuelle et frivole Elisabeth, l’abolit entièrement en 1753. C’est à la sensibilité plus affectée que réelle, c’est aux nerfs des impératrices du dix-huitième siècle, que la Russie est redevable de cette suppression de la peine de mort. Il est vrai que, redoutant surtout les émotions pénibles, Elisabeth Pétrovna supprima plutôt le nom que la chose. Aussi longtemps que dura l’usage du knout, la rigueur de la répression ne perdit rien aux lois humanitaires d’Elisabeth ou de Catherine. Le knout suppléait parfaitement à la hache ou à la corde. Pour tuer un condamné, il suffisait de ce redoutable fouet dont la rude langue de cuir, enlevant d’épais lambeaux de chair, mettait les os à nu. Le juge, auquel la loi interdisait une sentence de mort, condamnait à cent coups de knout, sachant parfaitement que le patient ne les pourrait supporter. Dans ce cas, l’hypocrisie de la justice ne faisait que rendre plus odieuse l’apparente mansuétude de la loi. Le malheureux, auquel la sentence était censée laisser la vie, expirait dans un supplice atroce. Telle était la force du knout qu’aux bourreaux expérimentés il suffisait d’un ou deux coups bien assenés pour tuer un homme. Aussi, comme la vénalité se glissait partout, les condamnés, qui se savaient destinés à périr sous le terrible instrument, achetaient-ils