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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/449

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La déportation, comme châtiment pénal ou comme moyen de gouvernement, est fort ancienne en Russie. On pourrait la faire remonter aux premiers Tsars, qui, avant d’avoir à leur disposition la Sibérie, transplantaient fréquemment des populations entières d’une partie de leurs États à l’autre[1]. C’est sous le règne d’Alexis Mikaïlovitch, père de Pierre le Grand, vers le milieu du dix-septième siècle, que la Sibérie reçut le premier convoi de malfaiteurs. Depuis lors ces lugubres caravanes sont devenues annuelles et n’ont cessé de grossir. Dès l’origine, la déportation a eu moins pour objet d’imposer aux condamnés les souffrances d’un climat rigoureux, que de délivrer la société ou le gouvernement des hommes qui pouvaient troubler l’une et inquiéter l’autre. Aussi pourrait-on dire que la peine était à peu près graduée selon la distance ; à mesure que se sont accrus les moyens de communication, à mesure que s’est élargi le domaine de la colonisation nationale, le champ de la déportation s’est étendu, reculant toujours, vers l’est ou le nord, au fond des solitudes de l’Asie.

Le Code pénal appliquait jusqu’à ces derniers temps la peine du bannissement (ssylka) aux plus grands crimes et aux simples délits, tels que le vagabondage. Les déportés, en vertu d’une sentence judiciaire, sont ainsi divisés en deux grandes classes : les condamnés aux travaux forcés, et les condamnés à des peines moins sévères qui, de même que les suspects politiques de l’ancienne IIIe section, sont simplement transportés d’une partie de l’empire à l’autre, ordinairement du centre aux extrémités. Entre ces forçats et ces « colons obligés », il y a légalement un grand inter-

  1. De pareilles migrations forcées, d’une extrémité à l’autre de l’empire, ont encore parfois lieu de nos jours. C’est ainsi qu’après la guerre de 1877-78 des centaines de familles, des tribus entières du Caucase, qui s’étaient révoltées contre le tsar, ont dû quitter les montagnes du Daghestan pour les plates et froides régions du nord de la Russie. La plupart de ces montagnards ont été rapatriés sous Alexandre III, en 1881. En revanche, des milliers d’Israélites on été, en 1881 et 1882, expulsés des contrées où ils étaient établis.