Aller au contenu

Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Russie, des villages où les paysans ont, dit-on, conservé l’habitude de laisser le soir, à la porte ou à la fenêtre de leur izba, un morceau de pain et une cruche d’eau pour hs fugitifs qui peuvent passer dans la nuit.

La police arrête annuellement un grand nombre de ces déserteurs de la déportation. Près de 10 pour 100 des gens expédiés chaque été de Moscou en Sibérie sont des évadés qu’on y réintègre. Beaucoup réussissent néanmoins à dérouter toutes les recherches. On a plusieurs fois découvert, au fond des forêts, des villages de ces outlaws qui vivaient sans impôts, loin des yeux de l’autorité. La plupart errent dans les contrées reculées de l’empire, ou louent leurs bras au rabais dans les mines de l’Oural et de l’Altaï. La déportation, tant employée comme un remède contre le vagabondage, recrute ainsi une classe nouvelle de dangereux vagabonds.

Avec de tels résultats il n’est pas étonnant que le système de bannissement, si largement pratiqué jusqu’ici, rencontre aujourd’hui peu de faveur parmi les juristes et les criminalistes préoccupés de la répression, comme parmi les politiques ou les publicistes préoccupés de la colonisation. La Sibérie, qui pendant des siècles a reçu le rebut de la population russe, criminels, vagabonds, paysans en fuite, mêlés aux condamnés politiques et aux sectaires religieux, la Sibérie, qui compte une population libre de quatre millions de Russes, se lasse d’être regardée comme l’exutoire de l’empire, comme une sentine où la Russie européene évacue toutes les matières infectantes ou dangereuses. À l’exemple de l’Australie anglaise, l’Asie russe commence à repousser les convicts, qui pour elle sont moins une ressource qu’une cause de démoralisation et d’insécurité. À une certaine époque peut-être, alors qu’on y internait surtout d’inoffensifs suspects politiques ou de tranquilles sectaires religieux, la colonisation a pu tirer quoique parti du flot régulier de cette immigration pénale. Aujourd’hui il n’en est plus de même : les colons