Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/465

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les punitions étaient disproportionnées à la faute, la Sibérie, comme jadis les verges, se trouvant au bout de presque toute condamnation. D’après la nouvelle échelle des peines, les travaux forcés resteront, comme par le passé, le plus terrible des moyens de répression ordinaires. Considérés comme remplaçant la peine de mort, ils ne pourront plus être infligés qu’aux plus odieux criminels ; ils deviendront en même temps moins fréquents et plus sévères qu’aujourd’hui.

Pour les suspects politiques ou les sectaires religieux, la Russie, tant qu’y persistera l’arbitraire administratif, continuera l’ancien système d’expulsion. La Sibérie pourra de ce chef recevoir longtemps un contingent régulier de colons forcés. La déportation demeure, aux mains de l’administration, un moyen de gouvernement. Si les tribunaux ou la police n’en usaient que contre d’immondes et dangereux fanatiques, tels que les skoptsy ou mutilés, la tolérance et l’humanité n’auraient rien à leur reprocher. On ne saurait malheureusement dire qu’il en a toujours été ainsi. À toutes les extrémités de la Russie, au delà de l’Oural comme au delà du Caucase, le voyageur rencontre d’innocentes colonies d’hérétiques russes, dont tout le crime est de rejeter les dogmes ou les cérémonies de l’Église dominante. Avec cette colonisation forcée de tous les éléments réfractaires, politiques ou religieux, le gouvernement risque à la longue d’inoculer aux provinces lointaines, à la Sibérie en particulier, un périlleux esprit d’indépendance ou d’opposition.

L’incarcération a de tout temps figuré dans le Code pénal, mais, en fait, on s’en servait peu. Il y avait pour cela plusieurs raisons dont l’une dispense des autres. La Russie, représentée si souvent comme un vaste bagne, était en réalité relativement pauvre en prisons. Elle n’avait, pour installer ses criminels, ni nos vieilles abbayes ni nos anciens châteaux. Les prisons, trop peu nombreuses et trop petites, sont trop souvent encombrées par les prévenus.