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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/466

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en sorte qu’il reste peu d’espace pour les condamnés. Cela s’explique tant par les habitudes de la police que par des considérations d’économie. À l’incarcération prolongée, qui coûte cher, on préférait le châtiment corporel, qui ne coûte rien, ou la déportation, qui semblait délivrer des coupables. Jadis, quand d’après la loi un malfaiteur était condamné à la prison et qu’il n’y avait point de place pour lui dans les maisons de détention, on lui appliquait cinquante coups de verge et on le renvoyait en liberté, si la peine était légère ; on l’expédiait en Sibérie, si la détention devait être longue. Avec la suppression des châtiments corporels et les restrictions mises à la déportation, on est forcé de recourir de plus en plus à l’emprisonnement. Mais on a eu beau ériger de nouvelles maisons d’arrêt et de détention, tant qu’on n’en possédera pas davantage, la Sibérie restera, comme par le passé, la ressource de la justice et du gouvernement.

Beaucoup de plaintes se sont élevées contre les prisons russes ; on les dépeint comme d’horribles et infects cachots où les détenus sont soumis aux traitements les plus rigoureux et aux plus cruelles privations. De pareils tableaux ne sont pas toujours d’une exacte vérité[1]. Les prisons que visite le voyageur dans les capitales, celles du moins qui ont été récemment construites à l’imitation de l’Europe, ne diffèrent guère de nos établissements du même genre. En plus d’une ville le principal monument est une prison qui domine en souveraine les habitations privées. Dans ces mornes palais du crime, on retrouve l’espèce de luxe architectural, parfois même le confort relatif que l’on se plaît

  1. A Pétersbourg même, les humides casemates de la forteresse Pierre-et-PauI, qui, lors des crues de la Neva, sont au-dessous des eaux du fleuve, rappellent, il est vrai, les puits de Venise, dont on a aussi exagéré l’horreur. L’impression à Pétersbourg est d’autant plus pénible que l’église de la forteresse où sont enfermés surtout les prisonniers d’État, est le Saint-Denis des Romanof. Ce rapprochement des tombeaux des souverains et des cachots des conspirateurs a pour l’imagination quelque chose de particulièrement lugubre.