Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/478

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devant des journaux qu’ils déchiffraient lentement, entre leurs innombrables tasses de thé. La presse s’infiltre même peu à peu dans les villages. On en a eu la preuve au commencement du règne d’Alexandre III, lors de la convocation d’une commission d’experts pour la réforme des cabarets. C’était là une question qui touchait directement les paysans ; les débats de la commission, reproduits par les journaux, ne sont pas restés sans écho chez eux. En mainte commune, le moujik s’est même permis de donner à ce sujet son opinion par la voie de la presse. Une feuille spéciale d’attaches gouvernementales, à peu près la seule qui eût accès au village, le Selskii Vestnik (Messager rural), a ainsi publié, dans l’hiver 1881-82, plus de quarante lettres de paysans, parfois remplies de renseignements des plus curieux, sur les cabarets et la vie populaire. Le Seleskii Vestnik avait reçu en quelques semaines près de cent cinquante épitres de cette sorte, et avait dû prier ses rustiques correspondants de mettre fin à leurs envois. De pareils faits sont les premiers symptômes d’une grave évolution dans les habitudes du peuple.

Pour les grands journaux, la Russie est déjà l’égale des peuples du continent. Sans parler du Golos (la Voix), aujourd’hui supprimé, la Gazette (russe) de Saint-Pétersbourg, la Gazette de Moscou, le Novoé Vrémia (Nouveau Temps), et quelques autres dont le nom est moins familier à l’Occident, ne le cèdent guère à leurs plus illustres émules d’Angleterre, de France ou d’Allemagne, ni pour la valeur littéraire de la rédaction, ni pour l’étendue des informations. Les feuilles des deux capitales, qui ont la légitime prétention de rivaliser avec les organes les plus en renom de l’étranger, ne sont point pour cela servilement calquées sur le type anglais, allemand ou français.

Le journalisme russe garde son originalité, sa physionomie propre ; le régime autoritaire lui imprime naturellement un cachet particulier. La polémique, tout en y tenant trop de place, est loin d’en remplir les colonnes.