Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/487

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quelle situation faisait un tel régime à la presse et à la littérature, aux fonctionnaires et au tchinovnisme. C’était pour chaque service, avec l’assurance contre toute critique, le droit à la négligence, à la routine, à l’impéritie.

Toutes ces juridictions spéciales sont tombées au début du règne d’Alexandre II. En droit, si ce n’est toujours en fait, les diverses administrations ont perdu la faculté de contrôler tout ce qui les concerne. Sauf en matière ecclésiastique, les écrits et imprimés ne relèvent plus que de la censure ordinaire[1]. C’est en 1865, dans l’année qui suivit la promulgation des nouveaux règlements judiciaires, que fut édictée la loi affranchissant de la censure préventive une notable partie de la littérature et de la presse. Un oukaze impérial exempta de toute autorisation les ouvrages originaux ayant au moins dix feuilles d’impression et les traductions n’en ayant pas moins de vingt. Le même privilège fut reconnu à toutes les publications du gouvernement et des sociétés savantes, à toutes les éditions et traductions des langues anciennes. Tite-Live et Tacite, Démosthène et Plutarque purent paraître sans les mutilations ou corrections que leur faisait infliger l’empereur Nicolas, en cela imitateur de Napoléon Ier.

Le droit de paraître sous la responsabilité de l’auteur et de l’éditeur n’affranchit pas les écrivains de tout contrôle. Chaque volume publié sans visa des censeurs doit être déposé entre leurs mains quelques jours avant d’être mis en vente, et, s’il est jugé dangereux, il peut être saisi. D’après l’oukaze de 1865, c’était aux tribunaux de décider si cette saisie devait être levée ou maintenue. Depuis 1872, un oukaze, restreignant les franchises accordées par le précédent, a remis au comité des ministres le droit de décider souverainement de l’interdiction et de la confiscation d’un

  1. Nous ne parlons pas ici de la censure théâtrale ni des productions dramatiques, qui demeurent soumises à des règlements singulièrement vexatoires, si bien qu’on peut regarder les défiances de l’administration comme un obstacle au développement du théâtre national.