Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/488

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ouvrage ou d’une livraison de revue, et cela sans préjudice des poursuites judiciaires contre les éditeurs, auteurs, et parfois même imprimeurs. Si élevée que soit l’autorité ainsi érigée en tribunal suprême de la pensée et de la plume, c’est toujours une autorité administrative qui prononce par ordonnance, sans procès, sans débats, comme sans appel.

Quant à la presse périodique, à la presse quotidienne surtout, on n’eût osé l’affranchir de la censure préalable sans prendre contre elle des garanties spéciales. Dans leur embarras, les réformateurs de la Néva tournèrent, comme d’habitude, leurs regards vers l’étranger, vers la Seine ; le modèle cherché, ils le découvrirent dans la France impériale. C’est dans la législation du second Empire que la Russie et, bientôt après elle, la Turquie ont puisé la plupart de leurs règlements sur la presse. Les liens ingénieusement tressés à Paris pour la pensée ont été jugés dignes d’être imités à Pétersbourg et à Constantînople. C’est au moment où il allait être abandonné en France par l’Empire même, que le système napoléonien des avertissements aux journaux a été recueilli par les ministres du tsar et du sultan. Cette double fortune suffirait aux yeux d’un Français pour apprécier la valeur d’une telle législation ; mais la même institution ne peut être jugée de la même manière dans les divers pays. Ce qui était rétrograde en France était en Russie un progrès ; la presse russe eût souhaité d’être tout entière à ce régime, si peu goûté de la presse française.

La loi de 1865, en effet, maintenait la censure préventive dans toutes les villes de province. Dans les deux capitales même, la loi ne la supprimait point, elle l’y rendait facultative. Par une ingénieuse combinaison, on a laissé aux journaux de Pétersbourg et de Moscou le choix entre l’ancien et le nouveau système. C’est à chaque feuille de déclarer si elle veut être dispensée de la censure préalable pour vivre sous le régime des avertissements et de la nou-