Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/496

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« Votre Excellence est trop bonne, représentait-on devant moi à l’un des titulaires de ce département, les journaux abusent de sa longanimité. » Et, vers le même moment, à la fin du règne d’Alexandre II, la femme d’un haut fonctionnaire me disait en confidence : « Mon mari est trop patient, il tolère les coups de patte de la presse, je serai forcée de m’arranger de manière à mettre fin à ces commérages ». Entre les attaques ou les insinuations d’une presse parfois peu scrupuleuse, il est malaisé de distinguer la loyale expression du patriotisme du dénigrement de l’envie et des intrigues perfides.

Sous ce régime d’arbitraire où l’on soupçonne tout, l’indulgence, comme les rigueurs du gouvernement, éveille parfois les suspicions malveillantes. Lorsqu’un journal se permet impunément quelques témérités, on est porté à lui supposer, dans l’administration, des complices ou des compères. C’est ainsi que vers 1880, à l’époque où le Golos était accablé de peines de toute sorte, la tolérance montrée vis-à-vis de son rival, le Nouveau Temps, faisait imaginer que la direction de la censure était pécuniairement intéressée au succès de ce dernier. On allait jusqu’à citer le chiffre de la rente soldée annuellement par le Nouveau Temps aux censeurs qui le délivraient de la concurrence du Golos. Abus ou calomnies, voilà où conduit le régime du bon plaisir administratif.

La loi qui, malgré toute sorte d’aggravations et de mesures d’exception, est censée régler le sort de la presse, avait été édictée en 1865 comme un règlement provisoire, et jamais la presse n’a voulu abandonner l’espoir d’obtenir des conditions plus équitables. Au milieu même de la crise nihiliste, dans la période d’accalmie signalée par le ministère du général Loris-Mélikof, le gouvernement s’était décidé à faire sur ce point quelques concessions à l’opinion. Une commission avait été nommée pour préparer une loi nouvelle, les directeurs des journaux avaient été admis à lui exposer leurs doléances. La presse demandait