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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/502

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nombre des librorum prohibitorum, les personnes tentées de le lire en font la demande à l’administration ; pour peu qu’elles aient de crédit, leur curiosité est satisfaite. Fonctionnaires, savants, écrivains n’ont qu’à indiquer chaque année à l’autorité les livres ou journaux qu’ils désirent recevoir. Il est vrai que l’administration reste toujours maîtresse de couper court à ces faveurs.

La censure étrangère et la censure ordinaire n’agissent pas toujours d’accord. Aussi y a-t-il dans ce domaine aussi peu d’unité que dans les autres administrations. Il est parfois arrivé qu’un livre interdit dans l’original était autorisé en traduction. Tel a été par exemple le sort de Nana de M. Zola. Le roman français était arrêté par la censure pendant que la traduction paraissait en feuilletons et qu’il s’en vendait librement une édition russe peu ou point expurgée. Le fait était d’autant plus singulier qu’une des revues de Pétersbourg, le Vêsinik Evropy, dont l’auteur de Nana a été durant des années le chroniqueur parisien, avait eu la primeur du roman et en avait donné à ses lecteurs d’importants fragments avant la publication de l’original.

Ce ne sont ni les livres français ou allemands, ni les journaux d’Occident, à la portée d’un petit nombre de lecteurs, qui feront une révolution dans les États du tsar. Aussi la censure étrangère réserve-t-elle le plus souvent ses sévérités pour les langues parlées dans l’intérieur de l’empire, pour le polonais et le malo-russe surtout.

La direction de la presse, comme le gouvernement, obéit, à cet égard, à des inspirations très diverses et, au premier abord, contradictoires. Défiante ou malveillante pour les langues ou dialectes slaves autres que le russe, elle est plutôt bien disposée pour certains idiomes populaires d’origine finnoise ou letto-lithuanienne, pour l’esthonien et pour le lette particulièrement, pour les langues rustiques des nationalités plébéiennes que la politique russe se plaît à opposer aux Allemands, aux Suédois, aux Polo-