Aller au contenu

Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/507

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un procès a, vers la fin du règne d’Alexandre II, révélé tout ce qu’il y a de tourments ignorés dans les obscurs bureaux de la presse encore soumise à la censure. Il s’agissait d’un des principaux journaux d’une des capitales provinciales de l’empire, l’Obzor de Tiflis. Le rédacteur de cette feuille, un Géorgien, que j’ai depuis rencontré, M. Nikoladzé, était accusé d’avoir, à force d’importunité, arraché le consentement du censeur local[1]. Il s’agissait tout simplement d’un feuilleton pour lequel la gazette en question ne s’attendait pas à tant de difficultés. Rien de plus curieux en ce genre que la déposition du censeur trop débonnaire, c’est un piquant tableau des mœurs bureaucratiques. Aussi demandons-nous la permission de la traduire en l’abrégeant un peu.

« On m’avait apporté le soir, dit l’inspecteur de la pensée russe, les épreuves d’un feuilleton intitulé Entretiens du dimanche. Après les avoir lues, je les renvoyai à la typographie avec défense de tirer ; cela fait, je me couchai. Il était environ deux heures du matin. Une heure plus tard, je fus réveillé par un coup de sonnette. Je sors sur le balcon, je demande qui est là. C’était le rédacteur de l’Obzor, M. Nikoladzé. « Je viens vous demander, me dit-il, pour quelle raison vous interdisez notre feuilleton. — Apparemment j’ai mes raisons, répondis-je, mais ce n’est pas le moment de vous les donner ; adressez-vous au comité de censure. » M. Nikoladzé insistant pour connaître immédiatement les motifs de l’interdiction, notre discussion se prolongea un quart d’heure, moi sur le balcon, lui dans la rue. À la fin je lui déclarai que je ne le recevrais point et rentrai dans ma chambre. « Je saurai bien vous faire ouvrir ! me cria-t-il d’en bas, et il se mit à frapper, à faire

    mais, pour elles, c’est le commissaire de police qui tient lieu de censeur ; et comme ce fonctionnaire est très occupé et souvent absent de son bureau, il y a là, pour les journaux de province, une autre source de difficultés et de retards. (Remarque de notre traducteur allemand, M. Pezold : Das Reich der Zaren und die Russen, t. II, p. 405.)

  1. Pour le compte rendu de ce procès, voy. le Golos (27 janvier 1879)