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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/510

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rapports des gouverneurs ? En Russie, la province est muette, les faibles organes qui s’essayent à parler en son nom n’ont rien de libre ni de spontané : leur langage, tout automatique, n’apprend rien à personne. Ce qui fait la véritable utilité d’une presse de province, la publication des nouvelles locales, est ce qui, dans la presse russe, est le plus entravé par la défiante susceptibilité des autorités. Le peu d’échos de la vie provinciale qui parviennent jusqu’aux oreilles du public ou du pouvoir, y arrivent par les correspondances des feuilles de Pétersbourg ou de Moscou, lesquelles ne peuvent avoir de correspondant partout. Pour les écrivains soumis à la censure, il y a du reste d’étranges contradictions. La loi permet à la presse de signaler les abus de l’administration, mais elle défend de désigner les personnes et les lieux. Or les instructions de la censure enjoignent de n’admettre de telles plaintes que sur l’indication précise des lieux et des hommes.

Dans un État où les distances opposent tant d’obstacIes à tous les efforts du pouvoir, rien de plus regrettable que cette ignorance du pays par ceux qui le gouvernent. En réalité, on peut dire qu’à Pétersbourg, aux bureaux mêmes des ministres, on ne sait souvent comment fonctionnent les réformes et les nouvelles institutions dans l’intérieur du pays. On a beau multiplier les rapports administratifs, créer des commissions spéciales et des enquêtes de toute sorte, rien ne saurait suppléer à la presse locale et à la voix des habitants. D’un autre côté, l’abaissement de la presse de province tend à donner aux organes des capitales une autorité qu’un jour le gouvernement pourrait trouver excessive. Par crainte de rendre la surveillance administrative plus difficile, c’est une sorte de monopole intellectuel que le pouvoir a constitué au profit des feuilles pétersbourgeoises, comme s’il eût pris soin d’accroître, en la concentrant en quelques mains, la puissance de la presse. On sait que partout, en effet, les journaux ont individuellement d’autant moins d’influence qu’ils sont plus nombreux,