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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/523

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la douane ne sont pas toujours pour les censeurs des auxiliaires sûrs ; il y a là, pour ces deux services, une cause de plus de corruption et de vénalité. On achète à l’occasion le silence de la police comme celui de la douane. Cette dernière a beau maintenir autour du pays un vrai cordon sanitaire, cela n’arrête point la contagion ; et l’infection est d’autant plus grave qu’elle est secrète. La prohibition intellectuelle n’a d’autre résultat que de rendre la contrebande littéraire plus active. Des brochures séditieuses imprimées à l’étranger sont importées en fraude ; et le gouvernement a d’autant plus de peine à mettre la main sur les coupables qu’ils ont parfois des complices dans les rangs de ses agents. N’a-t-on pas un jour découvert, sous Alexandre II, qu’à Pétersbourg le principal dépôt des pamphlets révolutionnaires était dans les magasins de la douane ? Un haut employé de cette administration se faisait adresser de l’étranger des ballots de libelles et se servait de sa situation officielle pour les faire entrer en franchise.

De tels phénomènes sont loin d’avoir rien de nouveau. Dès le début du règne d’Alexandre II, il y avait à l’étranger toute une riche littérature révolutionnaire, d’autant plus puissante que la censure permettait moins de lui faire concurrence. Ce qui ne pouvait se publier à l’intérieur s’imprimait au dehors. Une imprimerie russe, fondée à Londres par Herzen, vers la fin du règne de Nicolas, éditait des ouvrages de toute sorte, documents officiels dérobés aux archives de l’État, ou violents pamphlets. Un journal, la Cloche (Kolokol), rédigé en Angleterre par un proscrit, fut, durant plusieurs années, la feuille la plus lue et la plus influente de l’empire. La Cloche avait autant d’autorité près du gouvernement qui la prohibait que sur le public qui la lisait en cachette. Recevant des correspondances de toutes les parties de l’empire, le journal de Herzen informait les ministres, l’empereur lui-même, de ce qui se passait en Russie. Faute de journaux libres,