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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/524

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c’était une gazette du dehors, introduite en contrebande, qui remplissait, auprès du pouvoir et de la société, l’office d’information naturellement dévolu à la presse. Alexandre II était le lecteur le plus assidu du Kolokol ; il y apprenait maintes choses qu’il eût en vain cherchées dans les rapports de ses ministres. De là une anecdote bien connue et caractéristique de l’époque et du pays. Le Kolokol avait attaqué, avec preuves à l’appui, quelques personnages de la cour. Dans leur embarras, les gens ainsi pris à parti ne trouvèrent qu’un moyen de se mettre à l’abri des dénonciations de Herzen : ils firent imprimer, pour le cabinet impérial, un numéro revu et corrigé de la feuille proscrite. Herzen le sut et, à quelque temps de là, l’empereur trouvait sur son bureau un exemplaire authentique du numéro falsifié.

L’émancipation, dont le Kolokol s’était fait l’ardent promoteur, mit fin à cette espèce de dictature morale d’un réfugié. La liberté relative laissée à la presse et à la littérature du dedans ruina la vogue de la presse révolutionnaire de l’étranger. Les mesures répressives du gouvernement devaient rendre de l’importance aux publications clandestines du dedans et du dehors. Il s’est fondé en Suisse, à Genève spécialement, toute une presse russe qui durant quelques années a retrouvé de nombreux lecteurs. Si toutes ces feuilles réunies n’ont jamais eu l’autorité de la Cloche de Herzen, elles ont, comme cette dernière, trouvé des correspondants jusqu’au fond de l’empire ; et, bien qu’à bon droit suspectes, elles m’ont parfois donné des renseignements qu’on eût en vain demandés à la presse de Pétersbourg ou de Moscou[1].

  1. Les revues ou journaux de l’émigration russe, tous plus ou moins révolutionnaires et d’ordinaire nettement socialistes, ont été nombreux dans les dernières années. La plupart n’ont eu qu’une existence intermittente, comme le Vpered (En Avant), revue doctrinaire, relativement modérée, dirigée par le colonel Lavrof. À côté des feuilles les plus extrêmes, telles que le Nabat ou Tocsin de Tkatchef, mort en 1885, le Rabotnik ou Travailleur, l’Obchtchina (Commune), avait pris place, en 1881, un organe constitutionnel et fédéra-