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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/533

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sions de la paix et de la guerre, la gêne publique et privée, imposée par les difficultés financières, par la baisse du papier-monnaie, par les disettes ou les mauvaises récoltes, pour qui surtout ressent l’amer désenchantement laissé dans les âmes par l’inefficacité, l’inexécution ou l’inachèvement des grandes réformes, rien ne surprend plus, ni l’ardeur et l’audace des ennemis du pouvoir, ni l’indifférence et l’apparente torpeur de la société, ni l’isolement moral et les irrésolutions des gouvernants[1].

Nous l’avons dû constater à chaque pas, pour l’émancipation, pour l’administration, pour la justice, pour la presse : aucune des grandes réformes n’a donné au gouvernement et au pays ce que le pays et le gouvernement en attendaient. Presque partout, dans chaque sphère de la vie publique, nous avons vu que l’optimisme confiant des premières années avait fait place à une sorte de pessimisme découragé ou de scepticisme anxieux. À considérer le malaise de la nation, le trouble des intelligences, le désarroi du pouvoir, on dirait que les réformes n’ont profité qu’à l’esprit révolutionnaire. Devant l’effervescence de la jeunesse et des classes instruites, devant l’obscure et mystérieuse somnolence des masses populaires, en face des hésitations et des contradictions d’un pouvoir désorienté, sans programme, presque sans conviction, l’avenir de la Russie, émancipée du servage, semble non moins sombre qu’aux derniers jours de Nicolas, au temps des défaites de Crimée. Ces études seraient trop incomplètes si nous ne cherchions par où s’explique une aussi triste anomalie.

À toutes ces déceptions, trop nombreuses et simultanées pour n’avoir pas une cause commune, il est aisé de trouver deux raisons opposées et d’une égale simplicité. Et d’abord l’explication de ce phénomène ne serait-elle pas dans le

  1. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 1er avril 1881, l’étude ayant pour titre : l’empereur Alexandre II et la mission du nouveau tsar.