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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/534

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nombre même et la rapidité des réformes ainsi accumulées ? De toutes les réponses faites à pareille question, c’est là une des plus naturelles. On ne saurait, dit-on, toucher à toutes les coutumes ou les lois d’un pays, sans y jeter le trouble, sans qu’il en reste dans nombre d’esprits un désordre dont les effets peuvent être redoutables. Tout changement a ses inconvénients ; les plus indispensables amènent une perturbation temporaire. Toute réforme a ses défauts, ne serait-ce que les espérances et les illusions suscitées par chacune. La société russe a été trop remuée, depuis un quart de siècle, pour avoir pu retrouver son assiette. Dans sa soif de progrès, l’opinion a cru tout possible et n’a été satisfaite de rien. Au lieu de donner aux lois récentes le temps de porter et de mûrir leurs fruits, on n’a eu d’autre souci que de greffer les unes sur les autres des innovations nouvelles. Esprit d’inquiétude, aspirations vagues et exigences ingénues, désenchantement des rêves déçus, impatience des obstacles et de la longueur de la route, colères et ressentiments contre les hommes et les choses, n’en est-ce pas assez, sans parler de la grande secousse sociale de l’émancipation, des fortunes compromises et des situations ébranlées, pour expliquer les conquêtes de l’esprit révolutionnaire dans une jeunesse aveuglément présomptueuse et sans expérience, chez une nation elle-même inexpérimentée, novice et confiante en soi, se sentant arriérée en face d’autrui, humiliée de l’être sans toujours l’avouer, et, dans sa hâte de rejoindre ou de devancer les autres, ne comprenant point que la première condition d’un progrès normal est le temps et la patience ?

— Erreur ! entendons-nous crier dans un autre camp ; la cause de tout le mal, c’est que ces réformes si nombreuses ne l’ont pas été assez ; c’est que, pour la plupart, elles ont été mal conçues ou mal appliquées ; c’est que, dans ses lois, le législateur n’a pas osé agir conformément à ses principes, et que, dans l’exécution, le pouvoir n’a pas