Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/536

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dans quelques-unes de ses parties, conservée presque intacte dans les autres, et cela sans que l’architecte ait pris soin de raccorder les diverses pièces, avec des différences de niveau à chaque étage, avec des salles basses et obscures faisant suite à des chambres hautes et bien éclairées. Comment s’étonner que, parmi les habitants, les uns regrettent ce qui a été détruit, tandis que les plus jeunes prétendent tout jeter bas pour tout refaire à neuf ?

Ce double défaut d’harmonie des institutions entre elles, et des institutions avec les pratiques gouvernementales, suffirait à fomenter l’esprit révolutionnaire. Mais, à la diffusion du radicalisme et des idées subversives, il est une autre cause, d’importance au moins égale, qu’on ne doit jamais perdre de vue. À côté du désaccord de la Russie avec elle-même, de son manque d’orientation intérieure, il y a le désaccord de la Russie avec l’Europe moderne, le contraste des formes et des maximes de son gouvernement avec tout ce qui l’entoure et l’avoisine, avec l’esprit de notre âge et de notre civilisation. Pour que la révolution ne pût jeter de racines dans l’empire des tsars, il faudrait que la Russie fût à la fois en paix avec elle-même et en harmonie avec le monde extérieur, avec le monde contemporain, qui malgré elle pèse d’un grand poids sur elle. Or, de ces deux conditions, presque également essentielles, l’une ne lui manque pas moins que l’autre.

Les Russes aiment à regarder les révolutions comme une sorte de maladie de vieillesse, produite par l’altération ou le manque d’équilibre des organes sociaux, par l’atrophie des uns, l’hypertrophie des autres. Se sentant jeunes, ils se flattaient, grâce à leur état social, d’être à l’abri de pareilles affections séniles. À leurs yeux, la révolution étant le résultat du prolétariat et des luttes de classes, comment l’esprit révolutionnaire pouvait-il pénétrer dans un pays qui, grâce à un régime de propriété tout spécial, ne connaissait ni prolétariat, ni antagonisme de classes ? Avec le mir du paysan, rien de pareil à redouter. Pour