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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/537

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mettre à nu l’illusion de cet axiome de l’orgueil national, nous n’avons pas attendu que les complots se fussent chargés de désabuser les plus confiants. Contre les revendications révolutionnaires, le mir moscovite, nous l’avons dit mainte fois[1], est une assurance manifestement insuffisante. Toutes les révolutions ne sortent pas des luttes de classes. Les doctrines radicales n’éclosent pas seulement dans les ateliers d’ouvriers prolétaires ; si c’est là qu’elles trouvent le sol le plus propice, ce n’est pas le seul où elles puissent germer.

Ce qui est vrai, c’est qu’en Russie le milieu où s’agitent les instincts novateurs et les penchants révolutionnaires, est fort différent de celui où de pareilles tendances rencontrent le plus d’adhérents en Occident. Les thèses et les prétentions, les systèmes et les chimères sont, au fond, fort analogues ; il n’en est pas de même des apôtres et des prosélytes du radicalisme. C’est là un des phénomènes qui méritent le plus d’attention.

Il y a pour les hommes d’autres causes d’irritation que les privations ou les souffrances de la vie matérielle ; il y a pour les peuples d’autres besoins que les nécessités économiques. La Russie elle-même en est un exemple ; un grand nombre de Russes ont beau prétendre que chez eux il n’y a point de questions politiques, mais seulement des questions économiques, les événements démentent cette espèce de matérialisme.

Les revendications de la plupart de leurs révolutionnaires ont beau affecter une forme socialiste et subversive, l’état économique et la situation matérielle du pays ne sont ni les seules ni peut-être les principales raisons de la vogue des idées révolutionnaires. Ce qui par-dessus tout a favorisé le développement du radicalisme, c’est la contrainte morale, la gêne et les privations intellectuelles,

  1. Voyez tome I, livre VIII, chap vii, et la Revue des Deux Mondes du 15 novembre 1876 et du 1er mars 1879.