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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/543

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lectuellement et moralement, moins préparées à la réception de la science ; nulle part l’esprit encore fruste de la jeunesse n’est plus enclin aux fascinations de la logique et aux chimères de l’abstraction. Ni traditions de famille, ni culture héréditaire ne font, dans ces cervelles russes, contrepoids aux notions troublantes d’une science souvent mal comprise. Les universités et les écoles n’y font pas seulement des déclassés, mais des détraqués. Aussi est-ce dans ce prolétariat des gymnases et des universités, parmi les fruits-secs des écoles civiles, militaires, ecclésiastiques, que le « nihilisme » a recruté ses soldats les plus déterminés, et levé chaque année la plus grosse partie de son contingent.

L’État, l’empereur, les assemblées provinciales, les conseils municipaux, les corporations de marchands ou de bourgeois, les riches particuliers, ont fondé à l’envi de nombreuses bourses de jeunes gens et de jeunes filles, près des collèges et des universités. L’empereur Alexandre II avait lui-même, vers 1869, consacré 500 000 roubles à créer des bourses à l’Université de Pétersbourg. Nombre de particuliers avaient suivi ce généreux exemple ; chaque année voyait surgir des centaines de bourses ; on en comptait 1500 environ en 1880. Ces fondations, multipliées par la vanité, sont souvent à peine suffisantes pour faire vivre les jeunes gens qui en bénéficient ; mais c’est là leur moindre défaut. Afin de prévenir tout déclassement, il faudrait qu’à chaque bourse correspondit une position assurée. Or, il est loin d’en être ainsi. Les jeunes gens, instruits aux frais du gouvernement ou de la société, voient fréquemment les défiances du pouvoir auquel ils doivent leurs études leur fermer l’entrée des carrières publiques. Le gouvernement tient ses propres boursiers en suspicion, et cela non toujours sans raison. Plusieurs des régicides, Solovief, Jéliabof, Ryssakof, etc., étaient des boursiers, ou demi-boursiers, élevés les uns aux frais de particuliers, les autres aux frais de la famille impériale.