Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/546

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jamais là que des palliatifs plus propres à cacher les progrès du mal qu’à le guérir. Les procédés inquisitoriaux, les règlements minutieux et tyranniques, le formalisme tracassier et pédantesque du long règne ministériel du comte Tolstoï, ont si manifestement déçu les espérances de leur promoteur, qu’à essayer d’un système opposé on n’a rien à perdre. Restituer aux universités l’autonomie et les privilèges dont on les a dépouillées, rehausser l’ascendant des professeurs en leur rendant des droits dont l’État n’a rien à craindre, témoigner hautement du respect pour la science et ses représentants, et, par-dessus tout, donner au pays des institutions qui puissent supporter une libre critique : tels sont encore les meilleurs moyens de disputer la jeunesse et « l’intelligence » aux fascinations du radicalisme. Comme un pareil changement d’attitude ne peut s’accomplir en un jour, ni porter ses fruits en une saison, comme par tempérament la jeunesse est partout plus ou moins friande de nouveautés, on peut prévoir que les écoles resteront pendant longtemps la pépinière des propagandistes révolutionnaires.

Des classes instruites et de « l’intelligence », comment l’impulsion révolutionnaire peut-elle se transmettre au peuple ? Pris en masse, le fond du peuple est, dans les villes comme dans les campagnes, entièrement étranger aux idées subversives. Par ses habitudes comme par ses croyances, l’homme du peuple, le moujik surtout, répugne aux nouveautés qui se présentent à lui sous forme de rupture avec tout le passé et les traditions, sous forme de révolte contre les autorités de la terre et du ciel. D’ordinaire encore illettré, le moujik n’est pas seulement étranger et hostile aux doctrines nihilistes ou radicales, il leur est fermé, il est sourd à toute prédication de ce genre. Le principal obstacle au triomphe des révolutionnaires, ce n’est pas la force d’un pouvoir que tous leurs complots n’ont pu renverser, c’est la répulsion des masses populaires que tous leurs efforts ne peuvent entamer.